jeudi 10 novembre 2022

24 H Opinion : La COP 27 ne peut faire de miracles, il faut s’engager

 

24h  p. 2  Opinion,     jeudi 10 novembre 2022

 

L'invité   

Dr Jean Martin
Ancien médecin cantonal

«Coopérer ou périr», a dit à l’ouverture de la COP 27 de Charm el-Cheikh le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres. Pourtant l’ambiance y est morose, alors même que la gravité des enjeux n’est contestée par personne - ou presque. Dans le courrier des lecteurs de ce journal récemment, certains se sont fait les porte-voix de personnalités «climato-négationnistes» dont quelques clics sur le web indiquent qu’elles n’ont pas de légitimité scientifique.

La méfiance et une regrettable myopie se sont aussi signalées par des interpellations au Grand Conseil vaudois, critiquant les scientifiques qui s’engagent par des actions comme celles de XR ou Renovate Switzerland. Des députés aimeraient bâillonner ces personnes au motif qu’elles sont payées par l’État. Difficile de faire mieux, s’agissant de regarder par le mauvais bout de la lorgnette.

On accuse ces universitaires de politiser. C’est juste, si on se souvient que la politique, c’est la vie de la cité (la polis des Grecs). Ils prennent des risques pour leur carrière, parfois pour leur intégrité physique, au lieu de se contenter, au bureau, de mettre au point des publications pour les meilleures revues de leur domaine. La professeure Julia Steinberger, parmi d’autres, est en effet une «très grande pointure» scientifique («24 heures» du 7 novembre par ex.). Alors, quand elle participe à un blocage de route, je respecte et même j’admire. Surprenant, alors que, pendant plus d’un quart de siècle, j’ai servi l’État et fait appliquer la loi dans mon domaine? Peut-être, mais je le dis: nous sommes dans une situation où nécessité fait loi, n’en déplaise aux rigoristes de la lettre du texte réglementaire.

Une clé des débats actuels est dans la constatation «Nous ne croyons pas ce que nous savons.» Ce que nous savons, c’est ce que disent Mme Steinberger et ses collègues. En un siècle, l’utilisation massive des combustibles fossiles a complètement déséquilibré l’écosystème. Et nous sommes redevables aux scientifiques qui mettent le doigt sur les données démontrant cette glissade mortifère, très bientôt irréversible - une planète invivable avant la fin de ce siècle.

Le philosophe des sciences français Bruno Latour (dont les apports majeurs sont mieux connus des Anglo-Saxons que de ses compatriotes) a donné des entretiens qu’il vaut la peine de voir sur arte.tv. Quoique philosophe, il est très près du terrain et de la politique. L’habitabilité de la Terre diminue vite, souligne-t-il - ce critère doit maintenant prévaloir sur celui de la production.

Affirmant la fin de la modernité telle que nous la connaissons et évoquant l’effroi majeur de grands prélats devant l’expression du pape François parlant de «ma sœur la Terre» - à leurs yeux une hérésie, qui pourtant souligne si justement que nous sommes partie intégrante de la biosphère, ni plus ni moins. Ce qui exige que nous changions nos manières de voir et surtout de faire.