Publié par Le Temps (Genève)
Je ne sais pas quoi dire du climat à mes
petits-enfants
Question difficile. Je suis actif pour le climat, je soutiens les efforts
courageux et pleins d’abnégation des militants, jeunes, moins jeunes, plus du
tout jeunes. Je crois ce que nous savons et reste songeur en voyant tant de
personnes refuser l’évidence.
Deux de nos petits-enfants sont majeurs, savent les activités de leurs
grands-parents et y sont sensibles. Que dire, que montrer aux plus jeunes,
jusqu’à 10, 12 ans? Un ami me fait remarquer que j’écarte d’emblée l’hypothèse
«d’écraser les petits enfants avec de mauvaises nouvelles». Comment s’y
résoudre? Ou, alternativement, est-il possible de délivrer aux enfants de
telles grosses mauvaises nouvelles à doses homéopathiques?
J’y réfléchis, en restant sans idées bien opérationnelles. Et puis je vois que
j’ai quelque chose, sous la main, que je pratique ! C’est l’admiration de la
nature, la joie d’y être, d’y vivre, de la parcourir. Les fleurs et les arbres,
le concert des oiseaux au printemps, les animaux (sauvages en particulier).
Lacs et rivières, Préalpes et Alpes, roc et glace (pendant qu’il y en a).
Randonnées inspirantes, qui élèvent.
Nos petits-enfants savent cela. En promenade, observant une fleur, un insecte,
une trace d’animal, un torrent, ils m’entendent très souvent dire, comme une
évidence, «La nature, c’est intéressant, très intéressant… et c’est beau» («La
beauté sauvera-t-elle le monde?», question de Dostoïevski).
Tout cela est en danger, est-ce qu’on s’en accommode? Est-il anodin que nos
petits-enfants, puis leurs propres enfants, n’aient plus la possibilité de
jouir des multiples facettes de la biosphère, y compris de la biodiversité en
chute libre? Du milieu dont nous sommes partie intégrante, ni plus ni moins. Ce
serait bien que la réponse soit «Non, il faut faire des (grands) efforts pour
la survie des êtres vivants, de toutes leurs espèces. Pas seulement des êtres
vivants d’ailleurs, des fleuves et des espaces naturels».
Pour cela, un besoin pratique: renforcer et réorienter ce que dans les
programmes scolaires on appelait «Sciences naturelles». Mêler un bagage accru
de notions objectives avec les récits à inventer - en classe notamment. Une
éthique du vivant. Ce renforcement sera interdisciplinaire, avec géographie,
histoire, littérature et art, philosophie. Et droit et économie bien sûr. Il
faudra convaincre autorités et professionnels de l’éducation (au rythme où les
choses se péjorent, cela devrait être possible).
Dr Jean Martin
Médecin de santé publique, ancien médecin cantonal vaudois