lundi 3 avril 2023

24H L'invité ; "C’est de l’habitabilité de la Terre qu’il s’agit"

 

Opinion|   L’invité:  Jean Martin ,  Publié : 29.3.2023

 

C’est de l’habitabilité de la Terre qu’il s’agit

À l’approche du «jour du dépassement», Jean Martin enjoint de renforcer le cadre légal en Suisse pour laisser une planète simplement vivable aux futures générations.

 

Le 13 mai prochain sera le «jour du dépassement» (Overshoot Day). Si cette notion fait l’objet de certaines critiques - toute notion à visée globalisante a ses limites -, son intérêt de principe, y compris pédagogique, est reconnu. De nombreux événements retiendront l’attention, car ce jour-là nous, habitants de la Suisse, aurons épuisé les ressources que la Terre met à notre disposition pour l’année entière! Autrement dit: il faudrait grosso modo trois planètes pour vivre à long terme à la manière suisse. À la mode de Dubaï, il en
faudrait près de dix!

«La dégradation du milieu, y compris de la biodiversité, n’est pas un mauvais rêve qui va passer.»

Certains jugent qu’on parle trop de dérèglement climatique. On pourrait compatir à leur «fatigue», mais le rapport du GIEC sorti ces jours rappelle les faits… Peu riantes perspectives. «Celui qui pense qu’une croissance exponentielle infinie est possible dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste», a dit le scientifique américain Kenneth Boulding. Or, tout se passe comme si, à de louables exceptions près, nos décideurs ne voulaient pas savoir ce qui est évident pour un enfant de 6 ans.

S’agissant de consommation de ressources, qu’en est-il de la fameuse rationalité constante de nos comportements dont l’économie classique fait une clé de voûte du «système»? Les limites de cette supposée rationalité sautent aux yeux quand nous sommes poussés ou désorientés par des forces qui perturbent lourdement notre autonomie – publicités, propagandes massives voire trompeuses, réseaux sociaux, influenceurs…

Il y a des évolutions positives

Dans son ouvrage de 2022 «Ethnographies des mondes à venir», l’anthropologue Philippe Descola, après avoir vécu en Amazonie, relève que «les Achuar et d’autres peuples offrent un vivant démenti à l’idée d’une universalité de l’Homo œconomicus, réputé obsédé par la recherche d’une maximisation de ses avantages économiques». Sur l’enjeu climatique, il y a des évolutions positives: dans les communes, des commissions en nombre croissant sont chargées de se préoccuper de durabilité et d’environnement. Des soutiens sont accordés pour nous aider à être moins énergivores. Il y a les Plans climat de villes et de cantons, la loi sur l’énergie récemment adoptée. Et le peuple suisse votera le 18 juin sur la loi climat revisitée après l’échec de la loi CO₂.

La dégradation du milieu, y compris de la biodiversité, n’est pas un mauvais rêve qui va passer. Les dégâts ne sont pas encore très visibles «à l’œil nu», mais il est certain qu’on ne pourra pas revenir à la situation d’il y a un demi-siècle. Et le médecin que je suis note que les maladies et les morts en découlant seront un multiple élevé de ce qu’a causé le Covid-19. Le défi, le mot est très adéquat, consiste à maintenir l’habitabilité de la Terre, sans rêver à émigrer sur une autre planète! Voulons-nous faire le nécessaire pour que la génération qui vient existe dans un monde encore - simplement - habitable?